Le tungstène, avec ses propriétés réfractaires et de résistance à la pulvérisation atomique, est retenu comme matériau de référence pour les composants face au plasma dans les dispositifs de fusion par confinement magnétique, tel que les tokamaks. Soumis à des flux de chaleur et de particules intenses, le tungstène est néanmoins progressivement érodé par le plasma. Ces phénomènes d’érosion sont critiques pour deux raisons : ils déterminent la durée de vie des matériaux exposés au plasma, et une fois dilués dans le plasma confiné, ces matériaux constituent une source de rayonnement intense (en raison de leur numéro atomique élevé), néfaste aux performances. Une approche cinétique a été développée dans le cadre d’une collaboration entre l’IRFM, l’Université d’Aix-Marseille et General Atomics (US) afin de mieux comprendre ces phénomènes.
Dans les installations de fusion actuelle, la paroi face au plasma est en tungstène et est soumise à des flux de chaleur et de particules intenses qui vont l’éroder par l'échange de quantité de mouvement entre les ions du plasma et les atomes du matériau solide. Si la physique de la pulvérisation est un phénomène bien connu depuis plus de cinquante ans, celle de la dynamique des ions lourds à travers le plasma l’est beaucoup moins. En particulier, les trajectoires des particules pulvérisées à travers les premiers millimètres de la couche plasma en contact avec le matériau (gaine électrostatique) déterminent intégralement la probabilité des particules à atteindre le plasma confiné, ou à se redéposer directement sur le matériau. Cela tient à deux mécanismes : les atomes métalliques lourds s’ionisent rapidement dans le plasma, c’est-à-dire proche du matériau. Une fois ionisés, ils sont sensibles au champ magnétique de confinement et décrivent des trajectoires hélicoïdales qui peuvent directement intercepter le matériau. Deuxièmement la gaine électrostatique soutient un champ électrique extrêmement intense, qui accélère les ions présents dans cette région vers le matériau. In fine, la probabilité qu’un ion lourd s’échappe de cette zone de transition dépend fortement de ses propriétés cinétiques (énergie et angle d’émission), des propriétés du champ magnétique (amplitude et angle d’incidence vis-à-vis de la surface du matériau) et finalement du processus d’ionisation qui est stochastique par nature (phénomène quantique). Cela signifie que seule une approche cinétique est à même de quantifier cette probabilité, et de permettre de calculer la fraction de particules s’échappant réellement du matériau et rentrant ainsi dans le plasma. Dans la plupart des codes actuellement utilisés, le plasma est considéré comme un fluide. En faisant la moyenne de la distribution de l’énergie des particules incidentes, il en résulte souvent une sous-estimation de l’érosion nette du composant.
Exemple de trajectoires des particules : redéposées sur le matériau (en bleue) pu s'échappant vers le plasma confiné (en rouge)
Une approche cinétique prenant en compte la distribution d'énergie des particules incidentes et utilisant une méthode Monte Carlo a été développée dans le cadre d’une collaboration entre l’IRFM, l’Université d’Aix-Marseille et General Atomics (US) afin de mieux comprendre ces phénomènes d’érosion et de re-déposition. La figure ci-contre montre un exemple de trajectoires calculées : en bleue les trajectoires des particules redéposées sur le matériau, en rouge les trajectoires s’échappant vers le plasma confiné.
Dans cette étude, la probabilité moyenne que les ions tungstène pulvérisés s’échappent est calculée en fonction des conditions macroscopiques : champ magnétique, propriétés du plasma en contact avec le matériau (densité, température, potentiel, charge des ions pulvérisants). Les résultats montrent que la description cinétique de l'énergie est importante seulement pour les particules incidentes ionisées une fois, comme pour les ions du plasma tels que le deutérium. La contribution du deutérium à l’érosion du tungstène n'est ainsi pas toujours négligeable si on la compare à l’érosion due aux impuretés légères ou à l'auto-érosion du tungstène dans la gamme des paramètres plasma étudiés. Les résultats de ce méta-modèle permettent d’interpréter plus finement les expériences sur le tokamak WEST du CEA, mais aussi de fournir de nouvelles conditions aux limites pour les codes de simulation fluide traitant l’équilibre entre plasma de bord et les éléments de paroi.
Référence: L Cappelli, N Fedorczak, J P Gunn, S Di Genova, J Guterl, E Serre, Study of the erosion and redeposition of W considering the kinetic energy distribution of incident ions through a semi-analytical model, Plasma Phys. Control. Fusion 65 (2023)
Maj : 25/03/2024 (933)